Je me souviens de ce jeune homme serein, souriant et déterminé qui venait passer des entretiens de sélection pour être envoyé en « mission ». A ce moment-là, il ignorait tout du pays où il pourrait être envoyé et cela ne lui causait aucun problème.
Ouvert au monde et assoiffé d’altérité, il était prêt à vivre le partage partout où ilaurait été envoyé. Le Défap lui proposa de partir enseigner l’hébreu, les Sciences de religion et l’Ancien Testament à l’UPAC (Université Protestante d’Afrique Centrale) à Yaoundé – Cameroun.
En ce 21 mars, 1er jour du printemps, cela semble être un bon moment pour évoquer la mémoire d’Eric de Putter, assassiné par des lâches toujours en fuite.
Mesdames et Messieurs,
Chers amis, membres et invités de Semeurs de Liberté,
Vous l’avez compris, c’est avec une émotion certaine que je prends la parole aujourd’hui. Je m’adresse à vous en ma qualité de présidente de l’association Semeurs de Liberté qui est à l’initiative de ce moment et qui a financé cette plaque.
Mais comment éluder ma qualité d’épouse et veuve d’Eric de Putter mais aussi d’ancienne salariée du Défap ?
Car oui je le confesse, tout dans cette maison et dans ce jardin me rappelle des souvenirs. De la joie, des sourires, des rencontres mais aussi beaucoup de peines, des déceptions à répétition et des trahisons à volonté. "Les institutions ecclésiales ont pour vocation de rassembler et de proclamer. Sans cela, elles sont vaines et deviennent des outils de prédation et de pouvoir. Si elles deviennent source de division, d’un point de vue théologique et étymologique, elles sont diaboliques." Eric de Putter écrivait ces lignes quelques heures avant d’être assassiné sur le campus de l’UPAC le 8 juillet 2012. Ces mots résonnent encore plus fort au moment où nous évoquons sa mémoire aujourd’hui au Défap.
Cela fait bientôt 3 ans que Eric a été tué. Bientôt trois ans qu’un concert d’une symphonie dysharmonique se joue à plusieurs voix. Trois années à attendre que la justice soit rendue, les coupables soient arrêtés et que les responsabilités soient enfin assumées. En effet, l’assassinat d’Eric de Putter a donné lieu à une multitude de rumeurs et de mensonges tous plus odieux et insoutenables les uns que les autres. Le plus difficile a sans nul doute été d’avoir lu, entendu qu’il aurait été proposé à Eric de rentrer et qu’il avait refusé. Cela revenait à le rendre responsable de son assassinat. Cela revient à dire à notre enfant que son papa a choisi de ne pas la connaître, de ne pas la chérir et la voir grandir. Cela n’est pas acceptable. Nous savons tous que sur la manière de considérer les priorités dans l’action, parfois certains pensent qu’il faut en premier lieu privilégier et ne pas heurter des relations d’amitiés même si c’est au prix de certains silences. On ne voit pas tous les priorités au même endroit parce qu’on n’a pas tous les mêmes manières de comprendre la réalité, de l’analyser ; on n’a pas tous les mêmes responsabilités, et il est important que certains, à un moment, aient une parole courageuse. Et il y a des personnes qui ont le courage de choisir la Liberté, la Vérité et la Justice.
N’oublions pas de témoigner du respect et de la reconnaissance aux personnes qui se lèvent et prennent la parole quand tout le monde se tait et ferme les yeux. Ne les oublions pas. N’oublions pas Eric de Putter. N’oublions pas qu’il s’est levé pour nous tous, sinon on justifierait l’injustifiable et on se soumettrait à l’inacceptable.
Gardons vive la mémoire vive d’Éric de putter car son assassinat a malheureusement encore des choses à nous apprendre. En effet, nous continuons à vivre sur des modes qui occultent la vérité et se plaisent dans le mensonge, l’irresponsabilité, le mépris et l’incapacité de respecter la parole donnée.
Faire le choix de la liberté ne relève pas de l'impossible et cela ne fait pas de nous des héros. Éric de Putter était un homme à bien des égards exceptionnel, à l'humanité ordinaire. Un homme qui a eu le courage d'être pleinement et entièrement homme. Et être un homme, être une femme, c'est non seulement comme le disait Nelson Mandela "vivre d'une façon qui renforce La liberté des autres", c'est aussi susciter et vivifier la vie, en toute conscience, simplicité et humilité.
Avec l'association Semeurs de Liberté, il s'agit de faire vivre la mémoire d'Eric de Putter. Faire mémoire en faisant connaître ses écrits, en témoignant de son engagement, en inaugurant des lieux de mémoire – comme celui-ci. En ce sens, faire mémoire consiste alors à s'engager pleinement dans la vie, celle qui interpelle et engage. Il s'agit aussi de faire cet indispensable lien entre hier et demain, entre mémoire et histoire. Au-delà donc des réalités politico institutionnelles, nous remercions tous nos membres, donateurs et sympathisants de leurs soutiens qui nous permettent de remplir nos objectifs communs avec conviction. Nous le devons à Eric de Putter et aux valeurs humaines fondamentales qu’il défendait.
Aussi, ai-je la joie de vous annoncer aujourd’hui la création d’un Prix « Eric de Putter » à la faculté de théologie de l’Université de Strasbourg. Le prix « Eric de Putter » vise à promouvoir la recherche interdisciplinaire de haut niveau et est destiné à récompenser une thèse de doctorat spécialité « Théologie Protestante » ou « Sciences Religieuses » de grande qualité et à caractère interdisciplinaire ou pluridisciplinaire. Ce prix annuel d’un montant de 2000€ financé par l’association
«Semeurs de Liberté » prendra la forme d'une aide à publication. En attendant de connaître le/la premier(e) lauréat(e) de ce prix,
En ce 21 mars 2015, plantons ce Gingko biloba, arbre particulièrement résistant que Eric aimait particulièrement et qui le rassérénait. Dévoilons cette plaque pour faire mémoire et histoire. En 21 mars 2015 ayons le courage de la Liberté.
Car la Liberté ne meurt pas. Nulle part. Jamais.
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